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L’Alcyon un oiseau mystérieux

L’oiseau mythique de l’Antiquité : l’Alcyon

L’Antiquité grecque et romaine offre un monde fabuleux, attardons-nous, aujourd’hui, sur l’histoire de l’Alcyon, un oiseau mythique, recherché pour ses plumes, car elles étaient l’ingrédient principal pour élaborer un philtre d’amour puissant. C’était un oiseau marin, qui pouvait vivre en pleine mer, sans jamais se poser sur la terre ferme. Et plus encore, son nid, il le faisait sur les flots, comme la fabrication d’un vaisseau, à la surface de l’eau. La condition requise pour la ponte de ses œufs avec une couvaison heureuse, était une mer calme, exempte de tempête pouvant faire sombrer dans les profondeurs ses oisillons. L’Alcyon confectionnait son nid au moment du solstice d’hiver, et un phénomène météorologique étonnant survenait toujours à cette période, appelé les jours alcyoniens, que l’on peut parfois réellement observer en mer d’Égée. Il se caractérisait par un regain de température, un ciel bleu et l’absence de vent. La nature en symbiose pour protéger le frêle nid de l’Alcyon, balloté par la houle.

Le mystère du nid flottant

On trouve un passage de l’auteur Montaigne, citant Plutarque, qui décrit son nid, constitué d’arêtes de poissons. Cette description témoigne de la frontière poreuse entre ce mythe et une observation réelle d’un oiseau marin ; mais lequel, un martin-pêcheur, un goéland, un puffin, un albatros égaré en Méditerranée ? Nous allons mener l’enquête :

[…] aulcune suffisance, n’a encore peu atteindre à la cognoissance de celle merveilleuse fabrique de quoy cet oiseau compose le nid pour ses petits. Plutarque qui en a veu et examiné plusieurs, pense que ce soit des arrestes de quelque poisson qu’elle conjoinct et lie ensemble, les entrelaçant les unes de long les autres de travers et adjoustant des courbes et des arrondissements tellement qu’enfin elle enforme un vaisseau prest à voguer […]

Montaigne

À la source du mythe : Alcyone et Céyx

Essayer de trouver quel oiseau se cache derrière cet énigmatique Alcyon est d’abord une invitation à nous pencher sur la genèse du mythe. Un couple uni dans une passion amoureuse dévorante, Alcyone et Céyx, avec un point commun : ils ont chacun pour père une divinité. Alcyone fille du dieu des vents Éole et Céyx, fils d’Éosphoros. Éosphoros c’est la lumière de l’aurore, le symbole de l’étoile du matin, Vénus, qui dispute au soleil une présence lumineuse dans le ciel avant qu’il ne se lève. Le récit mythologique insiste sur ce point : Céyx aimait se faire appeler Zeus, auprès des mortels de sa région, et Alcyone, Héra. On remarque une certaine proximité avec le mythe de Prométhée. Zeus, découvrant cette usurpation d’identité, décida de provoquer une tempête pour couler et noyer Céyx, qui embarquait pour une expédition. Alcyone fut au bord du suicide quand son amoureux fut rejeté sur le rivage. Zeus, pris de pitié, transforma le couple : Céyx en oiseau marin et Alcyone, qui devint l’Alcyon.

Martin-pêcheur (photo de Pierre Dalous) 

L’enquête ornithologique : quel oiseau se cache derrière l’Alcyon ?

La question maintenant est : quel oiseau exactement ? Si on s’en tient à l’examen étymologique, alors l’Alcyon est le martin-pêcheur. Car son nom scientifique en latin est Alcedo atthis, Alcedo venant du grec ancien Alkyón (Ἀλκυών). Dès le Moyen Âge, on trouve des traces où le martin-pêcheur est clairement désigné comme étant l’Alcyon. Cependant, l’examen du mythe révèle plusieurs incohérences. Le martin-pêcheur n’est pas exclusivement un oiseau marin, et il vit la plupart du temps le long de cours d’eau et de rivières sur le continent. Autre chose, sa maison, qu’il creuse sur une berge, est facilement repérable. C’est un oiseau très véloce, un éclair bleu, que l’on observe faire des allers-retours entre sa demeure et son activité de chasseur piscivore. Au Moyen Âge, le martin-pêcheur est perçu, dans le folklore, comme un oiseau protégé de Dieu. Donc l’adouber une deuxième fois, en faisant de lui l’Alcyon, est peut-être une explication à cette méprise. Car rappelons-nous, Alcyone est la fille d’Éole, dieu du vent : elle devient un oiseau qui peut vivre exclusivement en mer. Il me semble qu’un prétendant au titre de l’Alcyon doit être considéré attentivement : le puffin de Scopoli.

Le puffin de Scopoli, un alchimiste des mers

Les puffins sont des oiseaux marins exceptionnels, capables de faire 1000 km en pleine mer en 24h, une sorte de cousin de l’albatros, spécialiste des vols au long cours. Le puffin de Scopoli niche presque exclusivement sur des îles ou îlots rocheux difficiles d’accès pour des prédateurs terrestres. Son nid invisible au regard des hommes, sur des falaises inaccessibles, laissait la porte ouverte pour tisser ce mythe. Autre caractéristique : les puffins, comme les albatros d’ailleurs, ont une glande spéciale, qui leur permet d’excréter l’excès de sel ingéré en buvant de l’eau de mer. L’oiseau peut ainsi vivre toute sa vie au large, sans jamais boire d’eau douce.

Frédéric Coulon — faune-paca.org – Puffin de Scopoli à Marseille

Il faut imaginer les hommes de l’Antiquité à la recherche de l’Alcyon, une quête pour découvrir son nid, au début du solstice d’hiver. La singularité de cette histoire, nous autorise à poser un regard ésotérique, amenant ainsi à considérer différentes étapes : Alcyone et Céyx se prennent pour des dieux par égocentrisme, et avec la mort de Céyx, ils traversent une épreuve initiatique. Cependant, leur amour est si fort que Zeus les transforme en oiseaux : il fait d’eux des esprits purs. Mourir à ses illusions puis renaître. Les jours alcyoniens, où les vents cessent d’agiter la mer en plein cœur de l’hiver pour permettre la fabrication du nid et la ponte des œufs, n’est-ce pas une analogie avec un processus psychologique ? L’hiver, c’est la pénombre, le repli sur soi, mais c’est aussi la période où l’on va faire naître l’embryon. L’embryon d’un renouveau, d’une transformation de son être profond. Avec ce mythe de l’Alcyon, n’a-t-on pas l’impression de flirter avec des notions d’alchimie spirituelle ? L’alchimie, c’est parfaire la nature : le boulanger qui cuit son pain, le tisserand à son métier, le travail à la forge. Transformer la matière brute en une denrée bénéfique à l’homme. Le puffin, capable de dessaler l’eau de mer, ne réalise-t-il pas un acte alchimique ? Extraire le sel, c’est un terme qui revient souvent sous la plume des alchimistes. L’histoire de l’Alcyon nous mène sur les sentiers de la connaissance de soi. Pour autant, mon interprétation reste subjective et le mythe recèle sûrement d’autres dimensions. Le puffin de Scopoli porte peut-être un secret enfoui. À nous, hommes et femmes, il nous reste la contemplation de ce voilier des mers. Voyageons alors, c’est dans l’expérience directe, du vent, des embruns et d’un puffin volant au-dessus de nous, que les portes de la compréhension véritable de ce mythe s’ouvriront !

Pour finir, j’habite Marseille, savoir que le puffin de Scopoli, enfin je veux dire l’Alcyon vit à proximité de l’ile de Riou, confère à ma ville natale, le charme d’une cité antique.

Richard Wilson « Ceyx et Alcyone » (1768)

Ari Abihssira

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