
L’ibis sacré et Thot : un oiseau sacrifié

Je ne peux commencer cet article sans mentionner ce fait historique, 8 millions d’ibis sacrés furent sacrifiés durant l’Égypte antique, ils étaient ainsi donnés en offrande, pour faciliter le passage devant le tribunal d’Osiris. Un nombre important de ces ibis furent momifiés et découvert au cours du XXème siècle dans de vastes nécropoles (source magazine Geo). Le dieu à la tête d’ibis dans le polythéisme égyptien, c’est Thot. Le scribe des dieux, celui qui durant les séances du tribunal d’Osiris notifie et consigne par écrit le jugement. S’attirer ses faveurs, c’était à minima ce que chaque égyptien devait faire, car Thot, le dieu de l’écriture, greffier au tribunal de l’âme, scellait le destin du défunt, tel un agent administratif tamponnant vos documents de voyage. On peut lire sur Wikipedia, que le choix de l’ibis sacré pour représenter le dieu Thot, tient du fait, que cet oiseau savait distinguer l’eau potable de l’eau viciée. Car Thot embrasse toutes les connaissances, cette explication que l’on trouve facilement dans des vidéos francophones sur la plateforme YouTube, semble aller de soi. Or un examen approfondi parait nécessaire pour comprendre cette association.
Le bec de l’ibis symbole du calame en roseau ?
Il serait judicieux pour ma part d’avancer prudemment par le questionnement, afin de comprendre pourquoi l’ibis sacré fut choisi pour figurer le dieu Thot, dont je rappelle encore que c’est le dieu de l’écriture, le scribe divin. Pour autant, ce choix me semble évident. L’ibis sacré fouillait, jadis, méthodiquement la vase sur les rivages du Nil, son bec légèrement recourbé, tel le calame de roseau : ne singeait-il pas le scribe attelé à sa tache ? Et dans quel décor, nos ibis sacré évoluaient ils ? Dans les marais de papyrus. Cette plante substrat de la fabrication du papier des scribes. Le symbole dans l’esprit humain se féconde par une observation. Cette observation empirique, ensuite embrasse notre imaginaire. L’ibis sacré est un scribe silencieux qui inlassablement trace des signes éphémères dans la boue.


Cette association entre le bec, l’outil pour écrire le calame et le papyrus est clairement représentée dans cette statuette, que voici.

Le dieu Thot compile de nombreux attributs et dont l’ibis sacré et son mode de vie, déploient une signification. Une signification qui prend toujours racine sur l’observation du monde réel. Avec l’avènement du monothéisme, l’écriture est l’expression transcendantale du divin, une abstraction en réponse à un dieu qui s’est retiré de sa création. L’ibis sacré et le dieu Thot sont au contraire un couple, un couple bien visible qui unit les égyptiens antiques avec leur unique moyen de survie, les crues du Nil. Ces crues répondaient à un calendrier, vivre en symbiose avec le fleuve, n’était-ce pas les premiers pas vers la connaissance, la connaissance de la Nature et de ses cycles ? Les égyptiens avaient ils aussi primitivement mesurés le temps par mois lunaire ? Les crues du Nil se déroulaient du 18 Août au 16 Septembre. Thot est le dieu associé à la lune, n’est-il pas alors l’incarnation d’un état transitoire, la lune et ses phases, toujours en passage, d’un cycle à un autre ?
L’ibis sacré réunion de la Lune et du dieu Thot

Je ne plongerai pas dans une tentative d’analyse de la symbolique de la lune, dans le monde égyptien antique. Je n’en ai pas les compétences et cela pourrait faire l’objet d’un livre entier. Cette représentation du dieu Thot face au disque lunaire avec l’Œil Oudjat en provenance du plafond du Temple d’Hathor à Dendérah, pourrait ouvrir la porte sur de nombreuses remarques ésotériques. Le disque lunaire porte en son centre l’œil d’Horus, que le dieu Thot a reconstitué, après que le dieu de la destruction Seth l’ai arraché à Horus au cours d’un combat épique. La mythologie égyptienne est complexe, continuons sur les liens entre notre ibis sacré, la lune et les cycles. Ne peut-on pas imaginer que les ibis sacrés se réunissaient en masse, peu de temps avant la crue du Nil ? Ainsi n’annonçaient ils pas le retour de l’abondance ? L’ibis sacré un messager du ciel, qui pour autant passe ses journées les pattes dans l’eau. Et puis, il faut parler de son plumage, ce contraste entre le blanc et le noir, la couleur noire comme poussée vers les extrémités de ses ailes, ne peut-on pas y voir la notion d’alternance, entre une lune pleine et sa disparition progressive ? Le dieu Thot est aussi figuré avec une tête de babouin, car c’est le babouin qui annonce le lever du jour avec ses cris stridents. On voit clairement que Thot est un intermédiaire, en tant que dieu de l’écriture, il fait le lien entre les transitions permanentes de notre monde réel et le besoin d’écrire, fondement la connaissance. Le dieu de l’écriture capture et rend lisible les secrets de la nature. Thot c’est l’allié des hommes, le dieu qui relie le ciel et la terre. Alors l’ibis sacré en-est il pas l’expression parfaite ? Cet oiseau surprenant, concentre de nombreuses significations, qui sont toujours le fruit d’observations. L’ibis peut se nourrir de serpents, Apophis est un dieu serpent égyptien géant dont le but est de dévorer Râ, le dieu soleil illuminant l’univers entier. Ainsi l’ibis sacré ne se présente-il pas comme un gardien de l’harmonie ? Car le dieu Apophis tente chaque jour de mettre fin à la course du soleil. L’ibis agrège un nombre important de symboles. Il y a un mystère à contempler et bien que l’on tente d’en discerner les contours, la relation esthétique avec cet oiseau magnifique, suffit à nourrir nos imaginaires.

L’ibis sacré une espèce invasive ?
L’ibis sacré fut tué en masse dans l’Égypte antique, semble-t-il qu’ils étaient élevés à proximité de temples, ou bien que des ibis sauvages étaient nourris à certaines périodes de l’année, avant d’être abattus. Ce ne sont pas ces 8 millions d’ibis sacrifiés qui expliquent son extinction en Égypte, il a disparu au cours du 19ème siècle. Cependant bon gré malgré, il a élu domicile dans certains pays européens. Des populations échappées de zoo et qui vivaient en semi-liberté, ont pris leur quartier au bord de certains fleuves. On en comptait 5 000 en bords de Loire dans le début des années 2000, une autorisation préfectorale (ou autre) a permis leur abattage. Bis repetita, l’ibis de nouveau tué en masse. Je ne suis pas en mesure d’analyser la cohérence d’une telle décision, l’ibis peut réellement mettre en danger des espèces locales et bouleverser l’écosystème. Notons que j’ai trouvé un article mentionnant un auteur nuançant cette dimension invasive, l’ibis pourrait aider à contrôler la surpopulation des écrevisses américaines « Loïc Marion l’ibis sacré est il une menace réelle pour la biodiversité ? (source) »
L’ibis sacré et son secret
Cet oiseau est spécial, sa fusion figurative avec le dieu Thot questionne. Lorsque l’on sait que ce même dieu sera assimilé dans le syncrétisme grec au dieu Hermès trismégiste, dieu de l’hermétisme et des sciences secrètes. Je ne peux m’empêcher de remarquer que l’ibis porte sur son plumage les 3 couleurs de l’œuvre alchimique, le noir, le blanc et le rouge.

